Dr Baurel Atchombou à Komiaza : « L’agroforesterie crée des microclimats qui protègent les cultures…

Dr Baurel Atchombou à Komiaza : « L’agroforesterie crée des microclimats qui protègent les cultures…

#Komiaza.com - L’agroforesterie est considérée de nos jours comme une mode, alors que dans un passé pas trop lointain les paysans avaient coutume d’à associer la caféiculture et les arbres fruitiers aux cultures vivrières. A la vérité, il s’agit d’une agriculture ancestrale. L’Agroforesterie renaît non plus comme une pratique sans ambition, mais comme un chemin pour diversifier les revenus des agriculteurs.             

Baurel ATCHOMBOU est titulaire d’une thèse de Doctorat/PhD sur la Gestion des Ressources Naturelles soutenu au Département de foresterie de la Faculté d’Agronomie et des Sciences Agricoles (FASA) de l’Université de Dschang. A la demande du CATI²-UDs (Centre d’Appui Technologique à l’Innovation et à l’incubation de l’Université de Dschang), il a récemment co-animé un atelier à l’attention des propriétaires des Champs Ecoles Paysans de la Menoua. Une occasion qui a permis à Komiaza d’avoir un entretien avec ce chercheur sur l’agroforesterie.

Qu’est-ce que l’agroforesterie ? S’agit-il d’une bonne nouvelle pour les agriculteurs camerounais ?

L’agroforesterie désigne l’ensemble des systèmes et technologies de mise en valeur du sol avec des  associations (simultanée ou séquentielle) d’arbres, de cultures et/ou d’animaux sur la même unité de terre ; ils sont caractérises par des interactions écologiques et économiques entre leurs diverses composantes.

L’agroforesterie pour les agriculteurs Camerounais est une solution alternative pour pallier non seulement à la vulnérabilité climatique mais permet également de concilier durablement forêts et agriculture. Pour les agriculteurs Camerounais, les systèmes agroforestiers permettront d’impulser un changement dans l’utilisation des sols tout en améliorant la capacité des forêts à fournir des biens et services au profit des communautés locales et peuples autochtones.

L’agroforestier serait-elle une spécialité de l’agriculture biologique, c’est-à-dire l’agriculture ancestrale ou de conservation ?

L’agroforesterie est une spécialité de l’agriculture de conservation car elle répond aux piliers de l’agriculture de conservation à savoir : d’un, la réduction ou suppression du travail du sol ; de deux, la couverture permanente du sol et de trois, la diversification de la rotation des cultures.

Peut-on pratiquer l’agroforesterie partout au Cameroun, n’existe-il pas des sols favorables ?

Oui il est clair que l’agroforesterie se pratique partout au Cameroun. Les limites de la pratique de l’agroforesterie tiennent essentiellement à deux facteurs : (1) La concurrence potentielle des espèces choisies entre elles et avec les cultures,  notamment pour les ressources en eau, en nutriments ou pour l’ensoleillement.  (2) L’espace nécessaire : même si les plantations d’arbres peuvent être modestes, de l’ordre de 2 à 8% de la parcelle, pour de petites exploitations ou chaque mètre carré compte, l’arbre peut sembler être manque à gagner qu’un atout pour certains agriculteurs. L’agroforesterie ne se limite pas à l’amélioration de la fertilité du sol, elle s’inscrit dans une approche agro écologique visant la durabilité écologique, l’équité sociale et la viabilité économique.

Vous préconisez des spéculations peu connues dans le département de la Menoua : le mango sauvage, le bitter cola, le voacanga, le bambou de chine.  Pourquoi celles-là et non pas les avocatiers, les manguiers, les goyaviers, etc. ?

L’agroforesterie à base du Garcinia kola, du Voacanga africana, d’Irvingia gabonensis et du Bambou de chine  présente des avantages considérables notamment : le développement de la biodiversité, la régulation du climat et la lutte contre le réchauffement climatique, la protection des sols et l’amélioration de la fertilité, et la génération de bénéfices sociaux pour le paysan.

De manière concrète, l’agroforesterie est-elle une aubaine pour l’agriculteur camerounais ?

Cela ne fait aucun doute, les systèmes agroforestiers permettent aux agriculteurs de diversifier leurs activités économiques en combinant la production de bois, de fruits, de légumes et de céréales, offre une plus grande stabilité financière, car les agriculteurs ne dépendent pas uniquement d'une seule culture. Cette diversification des produits agricoles permet de répondre à une plus grande variété de demandes sur le marché (exemple du Garcinia kola, du Voacanga africana, d’Irvingia gabonensis et du Bambou de chine), ce qui peut augmenter les opportunités de vente et de commercialisation.

Pourquoi l’anacarde qui est une spéculation très en vogue sur le marché des cultures de rente n’est-elle pas à l’ordre du jour?

L’anacarde est une spéculation adaptée pour les zones sèches à  porosité texturale élevée, ses sols sont sablo-limoneux profond et bien drainés. Il serait très difficile de produire ces plants d’anacardier compte tenu de la zone agro écologique des hauts plateaux. Le choix des espèces a été fait en fonction des besoins des communautés locales et des exigences climatiques et édaphiques de la zone. 

Pourquoi l’Université de Dschang encourage-t-elle les paysans dans la pratique de l’agroforesterie ?

L’Université de Dschang, à travers le projet ACREGIR, encourage les paysans dans la pratique de l’agroforesterie parce que les systèmes agroforestiers apportent de multiples bénéfices : lutte contre l’érosion des sols, création d’un microclimat favorisant les rendements des cultures (brise vent et limitation de l’évapotranspiration), développement d’insectes limitant l’attaque de ravageurs en champs.

L’agroforesterie contribue à la réduction des impacts du changement climatique sur l’environnement. Dites-nous comment ?

Comment ? En modifiant les conditions climatiques locales, les systèmes agroforestiers agissent sur des mécanismes qui régulent l’utilisation de l’eau par les cultures. Les microclimats qu’ils créent protègent les cultures des effets néfastes des changements climatiques comme le stress hydrique.

L’agroforesterie minimise-t-elle le recours aux engrais?

L’agroforesterie est une pratique innovante qui suscite de plus en plus d’intérêt en tant que solution écologique pour l’agriculture. L’agroforesterie réduit le recours aux engrais en ce sens que les espèces introduites en champs produisent de la litière et par conséquent moins de sédiments sont transportés. L’agroforesterie aide à préserver la fertilité des terres agricoles en évitant l’érosion et le transport de la matière végétale produite par les feuilles des arbres. La présence de ces arbres permet aux agriculteurs de maintenir des rendements durables et une production agricole stable.

Quel est l’état actuel des champs paysans écoles annoncés par l’Université de Dschang à travers le CATI²-UDs ?

La mise en place des champs écoles en milieu paysan se poursuit. Un suivi s’effectue pour les champs écoles paysans déjà initiés. La création de ces champs écoles paysans suit plusieurs étapes:  l’identification et hiérarchisation des contraintes au niveau des villages ; l’étude des principales contraintes, l’identification des causes et des solutions possibles avec la recherche ; la traduction des solutions en thèmes de recherche et développement, l’identification des techniques à tester et des témoins locaux, l’élaboration du programme d’activités, du dispositif expérimental et du calendrier de travail, la mise en place du champ école paysan, l’évaluation du champ école paysan, l’identification des techniques prometteuses, l’organisation et le partage des résultats. Les réunions de coordination entre les coopérateurs et l’équipe du projet se poursuivent afin de définir les exigences pour la création de la coopérative des agroforestiers du département de la Menoua.

Quelle est la nature de l’accompagnement que l’Université de Dschang et ses partenaires, notamment le Ministère de l’environnement et l’INBAR apportent aux champs écoles paysans pour une bonne maitrise des systèmes agroforestiers?

L’Université de Dschang et ses partenaires sont disposés à accompagner les champs écoles paysans à travers l’expertise technique et des fonds d’amorçage pour la création des entreprises en faveur des éco-entrepreneurs formés.  Mais le paysan s’engage en retour de : défricher le champ, pailler les arbres, assurer l’entretien et la protection des plants, contribuer à la fertilisation et aux traitements phytosanitaires du champ et rendre accessible son champ aux chercheurs pour la collecte de données sur la dynamique des arbres.

Quels sont les inconvénients de l’agroforesterie ?  Certaines personnes l’accusent d’attirer des insectes nuisibles  et des serpents pour ce qui concerne le Bambou de chine.

La mise en place des pratiques agroforestières ne s’improvise pas. La conception initiale du système, sa gestion sur le long terme conditionneront la réussite du projet, et ne doivent en aucun cas être laissées au hasard. Les insectes sont par excellence des pollinisateurs, ce processus de pollinisation favorise le rendement de production et le développement de l’apiculture [production du miel par les abeilles] qui se trouve bénéfique pour l’agriculteur.  Donc, l’idée selon laquelle les insectes sont nuisibles dans les systèmes agroforestiers, tout dépend du choix des espèces que vous associez à vos cultures.

Par ailleurs, si vous ne faites pas l’entretien de vos touffes de Bambou de chine, vous aurez des touffes plus denses et des reptiles pourront s’y introduire. Mais il faut noter que, le paillis sur le sol de la forêt de Bambou est trop bruyant pour que le reptile « serpent » puisse s’y faufiler, et les serpents n’ont pas de main pour se couvrir les oreilles. De plus, les tiges de Bambou de chine sont très glissantes pour que les serpents puissent y grimper.

L’agroforesterie participe à la lutte contre le réchauffement climatique par la séquestration du carbone. Apporte-t-elle dans ce cas un revenu supplémentaire au paysan ?

Les systèmes agroforestiers, outre leurs bénéfices environnementaux et productifs, représentent un outil intégré pour la séquestration de carbone en agriculture. L’accueil et l’intérêt que portent les agriculteurs et les collectivités locales à l’agroforesterie suggèrent que l’adoption de ce type de systèmes, en termes de surface pourrait représenter un moyen intéressant pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions de GES. D’autant plus que le carbone séquestré par les systèmes agroforestiers pourrait être acheté et échangé sur le marché européen du carbone. Nous encourageons donc les agriculteurs à conserver les arbres dans leurs parcelles.

Dites-nous, qui est le Docteur Baurel ATCHOMBOU?

ATCHOMBOU Baurel est un jeune chercheur en Gestion des Ressources Naturelles. Sa thèse de doctorat PhD sur la « Valorisation de l’écotourisme comme outil de développement et de conservation de la biodiversité : cas du Parc National de la Bénoué dans la Région du Nord-Cameroun » lui a valu le Prix de Meilleure thèse de Doctorat/PhD de la Faculté d’Agronomie et des Sciences Agricoles (FASA) de l’Université de Dschang pour le compte de l’année 2023-2024. Il a participé à plusieurs projets tant nationaux qu’internationaux, notamment avec TOCKEM, FAO, WWF, International Society For Development and Sustainability, ECOR FOUNDATION, GIZ, Climate Change Africa Opportunities, African Youth Empowerment and Capacity Building Academic, entre autres. Il cumule plus de six années d’expériences en gestion des projets ; restauration des paysages Forestiers ;  promotion, planification stratégique de l’Ecotourisme et du développement durable dans les aires protégées ; étude d’impact environnemental stratégique, étude d’impact environnemental et social, audit environnemental et social.

Je vous remercie, Docteur Baurel ATCHOMBOU, d’avoir accepté de vous prêter à nos questions.

Cela avec un immense plaisir, et je souhaite longue vie à Komiaza.com qui accomplit un travail mémorable pour informer ses lecteurs.

Propos recueillis par Augustin Roger MOMOKANA