#Komiaza.com - Le débat sur la prise de position des prélats contre la candidature du président Paul Biya à l’élection présidentielle 2025 déchire la toile. Le Pr Edouard Bokagné s’impose comme un arbitre. Car il fonde sa sortie sur une analyse de la laïcité sur laquelle s’appuient les partisans du régime.
Des politiciens, avec un esprit particulièrement restrictif, vont entreprendre de discourir, au hasard des récentes prises de position d'hommes d'église, de concepts tels que celui que je propose en titre. D'abord, il est bon que vous sachiez premièrement que la laïcité, dans sa définition, est tout d'abord et surtout, une idéologie politique.
Elle repose sur trois principes essentiels :
1- la liberté de conscience et le droit à des convictions.
Ce principe fondamental permet, au cœur de la laïcité, de manifester des convictions d'une façon qui n'est tempérée que par le respect de l'ordre public. Il n'est absolument pas opposé à la laïcité, (fût-on prêtre ou croyant), de penser et de dire que son gouvernant fût plus mauvais que le diable. Et ceci, peu importe où et quand c'est dit.
Une telle affirmation est de l'ordre des opinions (ou jugements de valeur) qui se fondent sur l'idée - naturellement subjective - qu'on se fait de ce dirigeant et du diable qui est toujours une représentation. Elle ne saurait plus troubler l'ordre public que la déclaration d'un tiers, agacé par les barrages sécuritaires lors de la dernière conférence de la Cemac à Yaoundé, qui a assimilé ce conclave à une association de malfaiteurs.
L'équilibre demande à être trouvé entre où la chose est dite ; quand et comment elle l'est. La prise de parole intègre bien sûr la sémantique (ou sens des mots) mais aussi la stylistique ou l'emploi des figures de style pour exprimer son idée. Parmi elles, l'hyperbole, le sarcasme, l'exagération, etc. sont autant de formes d'expression pour convoyer l'opinion.
Le trouble à l'ordre public n'est pas une figure de style. C'est un fait objectif qui se constate par ses manifestations. Dire aux citoyens de ne pas voter un tel ; de le sanctionner sur l'angle politique et de lui faire perdre le pouvoir n'est en rien un trouble de l'ordre public. C'est l'exercice d'un droit démocratique fondamental qui peut bénéficier à n'importe lequel des camps engagés dans des joutes électorales.
2- La séparation des institutions publiques et des organisations religieuses
Ce qui est séparé, ce sont les institutions. Pas ceux sur qui l'action de ces institutions s'exerce. Le fidèle de l'église est aussi l'électeur de l'homme politique. Il n'y a aucune séparation de ce point de vue. C'est en toute légalité que le Ministre de la République peut s'émouvoir des nuisances sonores de certaines assemblées et les réguler par des mises en demeure ou des interdictions.
Exactement de la même façon, l'homme d'église peut se faire l'écho des souffrances de ses ouailles et appeler à la sanction de celui qui les cause. Il ne fait, ce-faisant, que se conformer au premier principe ci-dessus évoqué ; sans violer le second s'il parle de sa chaire. C'est même plutôt l'homme politique qui interfèrerait avec son droit en prétendant l'en empêcher.
Il advient de fréquentes fois que l'institution religieuse organise des messes, des services, des prières et autres manifestations destinées à orienter les esprits vers l'action ou la légitimité des hommes politiques. Il n'y a pas de souvenir que ces activités, récurrentes au demeurant, aient jamais été censurées, déclinées ou blâmées. Seuls ceux qui n'y voient pas leur intérêt immédiat ou lointain les ont condamnées.
Exactement comme ils se courrouceront lorsque les mêmes qui, hier, priaient pour leur maintien, jugent qu'ils abusent des faveurs de Dieu. Il n'y a rien de juste qu'ils veuillent les en empêcher au nom de la séparation de l'église et de l'État. Cette séparation, ce n'est pas l'église qui l'a violée.
Mais plus déterminant encore : l'État n'est pas une personne ; fût-elle celle qui en incarne le caractère exécutif. Monsieur Paul Biya n'est pas l'État du Cameroun : il en est le président. Son régime n'est pas l'État. S'y opposer n'est pas synonyme de s'opposer à l'État. Et l'on peut parfaitement servir l'État en s'y opposant. On peut le faire à partir d'une religion en demeurant laïc.
3- L'égalité de tous devant la loi
Qu'un État soit laïc ne l'empêche ni de prier, ni de manifester respect, intérêt et considération pour la chose religieuse. Il veillera à traiter toutes les religions avec équité, sans montrer de préférence et sans en instrumentaliser. C'est le sens de la séparation des institutions.
L'égalité de tous devant la loi concerne l'État en premier. L'État n'est pas la loi. Il lui est justiciable. Le régime au pouvoir - qui, déjà, n'est pas l'État - est bien encore moins la loi. Il doit lui obéir sous peine d'y répondre. Il ne peut interdire, suspendre, faire taire, supprimer, bannir, au prétexte qu'il est contredit. Il doit savoir quand il agit, si son action est conforme au droit. Et si elle ne l'est pas, le citoyen a la latitude de s'y opposer.
Elle concerne aussi les hommes d'église qui ont le devoir d'enseigner. Reprocher, blâmer ou censurer des conduites sont une importante part de ces enseignements. L'église ne doit pas seulement louer. Si l'attitude des hommes de gouvernement n'était qu'exemplaire, le peuple nagerait dans la prospérité. On n'aurait pas des impôts aussi élevés. Des routes si crevassées. Des cités si pleines de saleté. Un si fort taux de corruption. Une société aux si fortes disparités.
Il faut s'expliquer un certain nombre de choses bizarres qu'on trouve rarement dans la planète. Comment depuis des décennies, un pays ne trouve qu'un seul homme pour le diriger ?
Pourquoi un pays à 90% de moins de 30 ans veut pour chef un homme de près de 100 ans ? Pourquoi ceux qui trouvent ça normal sont des ministres qui se disent ses « créatures » ou ses alliés ?
Et pourquoi trouve-t-on, parmi les intellectuels qui soutiennent ça, des experts en chantalisme qui soutiennent que les jeux olympiques viennent d'Égypte antique ?
Voilà les questions à poser...
Edouard BOKAGNE
Professeur des universités